ODAGIRI ICHIUN

Hariya Sekiun n’a pas laissé dans le souvenir des pratiquants une trace profonde à l’inverse de Yagyu ou de Musashi. Mais il avait marqué son temps. Il eut jusqu’à 3000 disciples mais de ces milliers un seul devint vraiment le plus grand : c’est Odagiri Ichiun.

 

Tout comme Yagyu, il habitait Edo. I1 avait 28 ans quand il rencontra son Maître. Selon la légende, c’est la manière dont s’établirent leurs premiers rapports qui marqua leurs relations. Un jour qu’Hariya Sekiun était en train de sculpter une statue, un jeune homme se présenta et lui demanda s’il voulait bien exécuter quelque chose pour lui.

«J’ai entendu dire que vous êtes capable de fabriquer n’importe quel objet en bois ou en bambou, dit le jeune homme.

‑‑ C’est exact, répondit Sekiun, mais qui vous a donc renseigné’?

« On raconte partout que vous abandonné le sabre pour vous consacrer à la sculpture », répondit le visiteur qui ajouta :

« J’ai aussi, de mon côté abandonné le sabre. »

« Quel est votre nom ‘? »

« On m’appelait Odagiri Ichiun, mais désormais je me fais appeler Ku Don, c’est‑à‑dire Ku pour vide et Don pour muet. »

« Je vois, dit Sekiun, secouant la tête, mais que désirez‑vous’? Voulez‑vous me l’expliquer’? »

Ainsi sollicité, il raconta

« J’ai abandonné le sabre, il y a quelques années déjà, après avoir tué un homme et les membres de sa famille cherchent à le venger. J’ai longtemps réfléchi au problème et décidé d’aller au‑devant de leur voeu. Une seule chose me préoccupe, je suis trop fort pour eux, c’est pourquoi si je confectionnais un sabre de bambou avec une tige d’acier au centre, les chances seraient plus égales, parce que le sabre de bambou ne pouvant pas tuer agira comme arme dissuasive. Si mes poursuivants s’aperçoivent que leur entreprise est vaine, j’espère qu’ils cesseront de me rechercher.

« C’est une bonne idée, un peu superficielle toutefois, dit Sekiun ; je vais fabriquer le sabre de bambou que vous souhaitez, mais il me faut un an et je ne suis pas certain que ce délai sera suffisant. J’ai cependant proposition à vous faire ; si vous l’acceptez, ce sera le prix de mon travail. D’accord?

Odagiri, acquiesça de la tête.

Sekiun le présenta et le confia à Kohaku, un moine zen et le laissa avec lui. Trois mois s’écoulèrent ; Sekiun s’affairait avec diligence auprès du sabre de bambou pendant que son protégé étudiait avec le moine les textes conseillés par lui. La condition était, en effet, qu’Odagiri apprenne des thèmes de nature religieuse et que Kahaku soit content de lui.

De son côté, Sekiun poursuivait lentement la confection du sabre de bambou suivant les instructions reçues, mais il en tailla aussi un autre, en bambou également, strictement identique d’apparence,‑ mais avec un morceau de bois dur à la place du métal. En les voyant, on ne pouvait les distinguer car ils étaient pareils et d’un même poids; l’ouvrage était parfait.

Les sabres furent enfin prêts pour la livraison et Sekiun, une dernière fois, contrôla les poids. Satisfait de son oeuvre, il sourit et se prépara à aller rendre visite au moine pour savoir où en était la préparation d’Odagiri

Alors qu’il plaçait les deux sabres dans un ratelier, ce dernier entra et dit

« Je suis heureux que vous ayez terminé, mais je n’ai pas besoin de deux épées.

« Prenez les deux sabres et choisissez celui que vous préférez, dit Sekiun ». Odagiri les prit, les soupesa.

«Tous deux sont de poids égal et remarquablement identiques, c’est sensationnel et il ajouta

« En fait, avant d’avoir pris connaissance des écritures, j’aurais choisi celui‑là et il désigna celui dont le centre était fait d’une tige de bois dur. Comme c’est celui que j’ai commandé, dit‑il en repoussant l’autre dont le centre était en métal, je le prendrai donc.

« Bien, dit Sekiun en souriant d’aise, pour votre information, je crois savoir que ceux qui aspirent à se venger de vous, ne se présenteront pas. J’ai appris que l’homme que vous avez tué par accident était une brute qui exploitait les faibles et ennuyait les pauvres marchands. A présent que je connais la réalité, j’ai décidé de vous enseigner l’art véritable du sabre.

Au moment de leur rencontre Sekiun avait dépassé la soixantaine.

II était aussi doué d’un talent inné et tout ce que fit Hariya Sekiun, ce fut d’aiguiser son adresse. Il fallait un Maître de cette qualité pour découvrir ce qu’il y avait de meilleur en Odagiri Sekiun.

Il mit cinq années pour s’imprégner des principes de l’enseignement de son Maître. Quand il se sentit prêt il livra un combat avec Sekiun. Ils durent se reprendre à trois reprises car, à chaque fois, ce fut « ainuke ». A l’issue du troisième combat, Sekiun tira de sa poche un rosaire et le donna à son élève après avoir fait brûler de l’encens et s’être incliné devant lui. Odagiri Ichiun écrira plus tard qu’il fut ému par ce cérémonial qui l’intrônisait successeur et égal du Maître. Après la mort de ce dernier il partit méditer encore 6 années avant de se consacrer à l’enseignement de son art.

 

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