Réflexions sur Honte et Gyakute

par Nishioka Tsuneo

 (Cette discussion a été élaborée à l’occasion de la sortie de la “kihon video” réalisée par Nishioka Sensei. SJK)

Dans un écrit du professeur Eishi Matsuoka de l’Université Gakugei de Tokyo se trouve une section relative à Honte et Gyakute appelée “kanji japonais et chinois” (les kanji sont des idéogrammes d’origine chinoise). J’ai lu ce chapitre avec beaucoup d’intérêt. Je considère, toutefois, qu’il nécessite quelques explications complémentaires par rapport à la pratique du SMR Jodo.

L’auteur décrit les termes “Junte” et “Gyakute”. En Iaido, les termes correspondant sont “Junte” et “Sakate”. En Jodo, nous avons “Honte” qui correspond au “Kirite” du Kendo. Ces termes sont différents pour chaque art. Ensuite, il y a 3 façons de prendre un Kamae avec les hanches : frontale, latérale et intermédiaire entre les deux. Naturellement, chaque position a un nom spécifique.

En Jodo, il existe deux façons particulières de saisir un objet : Honte et Gyakute. Pour comprendre Honte et Gyakute, il est nécessaire de les expliquer à la perfection, en intérioriser la technique et la mettre en pratique. Pourtant, même si on en perçoit le sens, encore faut-il être capable de les appliquer correctement. Matsuoka Sensei écrit dans son livre que même en consultant le dictionnaire, la chose reste difficile à comprendre. À partir du moment où je suis parvenu à la compréhension du SMR Jodo, j’ai perçu combien ce sujet avait été négligé par moi-même comme par d’autres. Pour cette raison, je souhaiterais expliquer clairement mon point de vue.

Dans la vidéo sur les kihon-dosa, vous noterez qu’à de multiples occasions, je fournis des explications sur des points que je considère de la plus haute importance.

Si, dans la vie de tous les jours, vous observez de quelle façon vous prenez et saisissez les objets, vous serez en mesure de comprendre beaucoup mieux ce que, précédemment, vous exécutiez inconsciemment. De toute évidence, les actions inconscientes ne sont pas comprises par le corps. La conscience de Honte et Gyakute dans le SMR Jodo en va de même. J’ai réfléchi sur ces choses entre 50 et 70 ans, mais je crois avoir compris vraiment l’importance de la prise dans les positions Honte et Gyakute seulement après mes 70 ans accomplis.

Quand on utilise un instrument, on doit s’interroger sur comment le prendre et l’utiliser. Si vous regardez attentivement la prise utilisée par les pratiquants de Kendo et d’Iaido, vous noterez d’infimes différences de forme. J’ai su que même les noms utilisés pour ces prises différaient. Dans le Bujutsu, on les appelle “tenouchi”, et je crois qu’il est, dans l’absolu, un des principes les moins bien compris. L’une des raisons est que les mains assument très rarement la même position dans la saisie d’un objet… En effet, la prise est toujours différente.

Quand on saisit un objet, on a un but et la prise doit donc être adaptée à l’usage auquel on le destine. Il doit exister un nombre incalculable de façon de prendre un objet en main. Dans le Bujutsu, il y a le sabre, le jo, le bo, le naginata, le fusil, le pistolet et tant d’autres armes. Au golf, au tennis, au baseball, en gymnastique, en haltérophilie, au badminton et dans chaque sport, il existe un grand nombre d’instruments.

Honte est connu aussi comme “Kirite” (la main pour couper), et Gyakute comme “Uchite” (la main pour frapper). Ces deux prises sont utilisées dans le Jodo, alors qu’au sabre, seul Honte l’est.

Les kanji utilisés pour Gyakute peuvent également être prononcés “Sakate”. Je suis seulement parvenu récemment à comprendre la différence entre Gyakute et Sakate. De fait, cette confession est relativement embarrassante pour moi. Il m’a fallu beaucoup d’années de pratique pour en comprendre les subtilités. Une des techniques de base du Jodo est appelée Gyakute-tsuki (tsuki signifie estocade, litt. “poussée”). Je crois que cette technique devrait plus justement être appelée Sakate-tsuki, plutôt que Gyakute-tsuki, en raison de la prise utilisée. Il y a la prise normale Honte pour tenir un jo ou un sabre, et dans le cas de Sakate, il s’agit de la même façon de prendre. Ces différences peuvent paraître un casse-tête et c’est pour cette raison que je voudrais que chacun de vous y pense attentivement.

Il est peut-être difficile de comprendre Sakate avec les seules explications données dans cet article… Le Tenouchi de Sakate est le même que Honte, mais la différence reste l’objet (jo, couteau… ou n’importe quel objet saisi) qui est retourné. L’exemple le plus évident est dans Gyakute-tsuki. Vous noterez sur la photo de droite que Sensei démontre la saisie correcte pour Gyakute-tsuki (o sakate-tsuki). Sur la photo de gauche, on voit le kamae avec lequel commence le kata “hissage”… Un autre exemple de Sakate.

Donc, quel est le Tenouchi de Honte ? (C’est-à-dire, comment doit-on prendre en Honte ?). Et quel est le Tenouchi de Gyakute ? Quand on prend en Honte, l’objet que l’on tient est aligné sur la ligne de vie qui se trouve dans la paume de la main, avec un angle à partir de la base de l’index. Quand on saisit en Gyakute, l’objet est placé en travers de la main. Pour Honte, le poignet est fléchi, tandis qu’en Gyakute il est droit (ou aligné avec la main). Je vous demande de l’expérimenter par vous-mêmes.

Bien souvent, on prête peu attention à la difference entre Honte et Gyakute dans les activités de la vie quotidienne. Ces prises représentent les deux façons fondamentales de saisir les objets et présentent des avantages divers dont nous n’avons pas même conscience. Comment saisir les baguettes pour manger ? Un pinceau ? Un couteau, une fourchette, une cuillère, un marteau, une  scie  ?  Il  existe  un  nombre incalculable d’objets  et  pour  chacun la  saisie appropriée dépendra du but recherché. Mais je doute que tous connaissent cette saisie appropriée.

Comment un percussionniste tient-il ses baguettes ? Et un joueur de Shamisen, comment tient-il le médiator ? Je voudrais demander aux spécialistes de ces disciplines s’ils enseignent deux façons différentes de tenir leur instrument. Peut-être, après tant de pratique, ces spécialistes ont compris ces choses d’eux-mêmes.

Pour ma part, je les ai comprises récemment : je crois que beaucoup ne distinguent pas avec clarté les différences entre le Tenouchi de Honte et celui de Gyakute. Par exemple, quant on prend Gyakute Seigan Kamae (la position où le jo est tenu en Gyakute en le pointant vers les yeux de l’adversaire), j’ai vu des personnes qui avaient la main de devant en Gyakute et celle en retrait (la fondamentale) en Honte. Ceci arrive également aux pratiquants plus experts et de grade élevé. En outre, dans le cas de Honte-uchi et de Hikiotoshi-uchi, il y en a beaucoup qui ont la main de devant dans une position correcte en Honte, mais je suis encore surpris de voir que la main en retrait finit en Gyakute. Pour Hikiotoshi-uchi, au moment où on prend le jo, la  main  est  en  Gyakute,  tandis  que  dans  la  phase  finale  du  mouvement, au  moment d’atteindre la cible, on devrait être en Honte.

Depuis que j’ai compris Honte et Gyakute, je vois que la prise Honte des pratiquants de Jodo n’est pas parfaite. Je suis stupéfait de constater que cette même prise n’est pas moins imprécise chez les pratiquants experts de Kendo et Iaïdo. Et je ne suis pas moins stupéfait par le fait que beaucoup de pratiquants coupent avec le sabre en utilisant une saisie Gyakute.

 En conclusion, je crois qu’il y a fondamentalement deux façons de saisir les objets (Honte et Gyakute), et pas d’autres. Dans la langue japonaise, les caractères utilisés Gyakute et Sakate sont les mêmes, mais en réalité il s’agit de deux choses totalement différentes et qu’il est indispensable d’y prêter attention. Il est également nécessaire d’être parfaitement clair sur la position des poignets dans ces saisies. Les différences pratiques entre Honte et Gyakute peuvent être comprises avec l’expérience de brandir, de frapper, de tirer, de pousser et de couper… Votre corps pourra comprendre ces choses seulement à travers le Keiko (la pratique). Mais exécuter ceci une ou plusieurs fois ne suffira pas. Vous devez fournir un gros effort pour réussir à exécuter une technique avec le même résultat chaque fois. Et cependant, personne ne peut dire que ses bases sont parfaites… C’est pour cela qu’on dit qu’il faut pratiquer toute la vie.

Enfin, je me répète encore : dans le SMR Jodo les trois connaissances de base sont Honte- uchi, Gyakute-uchi et Hikiotoshi-uchi. L’utilité de ces connaissances ne se limite pas au SLR Jodo, mais peut être appliqué à tous les domaines.

 

 Traduction de Lorenzo Trainelli (de l’anglais à l’italien)

et de Daniel Leclerc (de l’italien au français).

 ©2004 Shinjuku Jodo Kai