De jutsu à Do

Je vous livre ici  des textes, vraisemblablement écrits par P.Krieger, pris sur le site Internet de son club à Genève, et d’autres extraits du livre, qui illustrent très bien, de façon simple et peut être mieux que je ne pourrais le faire ce que j’aurais voulu exprimer.

Veuillez excuser cette facilité et ce piratage, mais vous n’y perdrez certainement pas au change.

Origines des disciplines martiales japonaises (budô)

 

Dans les périodes difficiles, il est souvent question de savoir où l’on va. Ne pouvant répondre clairement à cette question, posons-nous celle de savoir d’où l’on vient. Un bref survol des événements qui ont donné naissance aux concepts du budô aura l’avantage, espérons-le, de nous rafraîchir la mémoire sur les buts que s’étaient fixés les fondateurs de nos disciplines, et de nous éclairer dans les décisions que nous devrons prendre demain concernant le futur de notre club.

En 1603, après environ cinq siècles de guerres civiles, le Japon, exsangue, entrait dans une période de plus de deux siècles et demi de paix forcée sous la férule des Tokugawa. La situation n’était pas de tout repos. Les bushi (guerriers issus de la noblesse, plus tard appelés samurai), ne formaient que 5% de la population. Soudain désœuvrés, ils sentaient leur frustration grandir au fur et à mesure que leur inutilité devenait évidente.

Les 95% restant de la population, autrement dit le peuple, étaient divisés en trois classes sociales bien distinctes et totalement cloisonnées: les paysans, les artisans, et les marchands, dans cet ordre. D’une façon désespérée, ces individus cherchaient également des moyens de s’exprimer.

Le courant de néo-confucianisme de Wang-Yangming, rivalisant avec la doctrine orthodoxe de Chu-Hsi qui était encouragée par la dictature, vint enfin au secours des bushi comme du peuple. Ce nouveau courant encourageait l’intuition plutôt que l’intelligence, et favorisait la priorité de l’action sur les mots, du mérite individuel sur le mérite héréditaire, etc.

Une autre influence vint étayer ce premier courant: le taoïsme. Le tao, dô en japonais, dont le contenu était assez ésotérique en Chine, fut traduit par les Japonais en un concept plus concret : un chemin qu’il faut suivre dans la vie, un chemin sans fin, profond, abrupt et jonché de difficultés, qui doit être parcouru afin de se cultiver soi-même, pour finalement atteindre l’auto perfection.

Evolution des arts martiaux en disciplines martiales ­

Plus instruits, les bushi furent les premiers à mettre en pratique ces concepts. Pour ces guerriers, il ne faisait aucun doute que l’acte primait sur les mots. Cependant, tandis que le bujutsu tendait à former des jeunes compétents et efficaces sur le champ de bataille, dotés d’un tempérament d’acier dont les rares cordes sensibles ne vibraient qu’aux accents de grandeur, d’honneur et de loyauté, les partisans du budô préconisaient une recherche plus en profondeur. L’adepte du dô devait s’harmoniser avec la nature. Son entraînement quotidien tendait vers un idéal de comportement humain qui, à son tour, élevait l’individu et, par conséquent, la société dans laquelle il vivait. L’objectif culturel du dô était, et devrait être encore, de permettre à un individu d’être simplement lui-même, sans ostentation, et de bénéficier ainsi de contacts fructueux avec son prochain.

 

A travers une expérience personnelle intense, l’adepte du dô doit rechercher une compréhension de la vie dans sa globalité, car les formes en dô encouragent une attitude envers la vie qui va du particulier à l’absolu.

Les conséquences techniques ­ Alors que le bushi encourageait la pratique d’une palette variée d’arts martiaux de façon à ne pas être pris au dépourvu sur le champ de bataille, les adeptes du dô favorisèrent la spécialisation dans une seule discipline. Cette spécialisation nuit fortement à la compréhension globale des disciplines et arts martiaux japonais, car cette tendance a fortement encouragé le sectarisme qui règne encore entre les diverses disciplines. Une autre conséquence, fut l’apparition des arts de combat à mains nues. Imaginons l’application de techniques de jûdô, de karate-dô, d’aikidô sur un adversaire en armure qui doublait son poids tout en le protégeant des sabres et des hallebardes… Privé de son armure, le samurai commença à s’intéresser de très près à ces techniques.

Enfin, la dernière conséquence fut la modification des techniques classiques. L’entraînement au combat qui servait quelques-uns (les guerriers) fut modifié pour en faire une forme d’entraînement accessible à tous et praticable dans la vie courante. Alors que les kobujutsu mettaient l’accent sur le combat, suivi de la discipline, puis de la morale, les kobudô donnèrent la préférence à l’ordre suivant: morale, discipline, esthétique. L’efficacité des techniques ne fut pas pour autant délaissée, mais elle ne s’appliquait plus à des guerriers professionnels. Il faut bien comprendre que la plupart des innovateurs du kobudô naquirent durant la période d’Edo et n’avaient donc qu’une expérience limitée du combat.

Notons toutefois que cette notion d’efficacité, mais sur un tout autre plan, fut remise en avant lors de l’évolution des budô en sports de haute compétition, comme, par exemple, le jûdô.

Conclusion ­ Il faudrait donc bien se garder de tout confondre: art martial, discipline martiale, combat de rue, sport de compétition, etc. Et selon nos propres aspirations, adonnons-nous à la forme d’entraînement qui réponde à notre tempérament. En revanche, restons clairs: pratiquer le kobudô une fois par semaine ne fait pas de nous un bushi invincible; s’entraîner dans un sport de compétition dans un carcan de règlements limitatifs ne fait pas de nous, automatiquement, un pratiquant de budô.