La transmission et la succession dans les arts martiaux

La transmission et la succession dans les arts martiaux

par Meik Skoss

Aikido Journal #101 (1994)

Traduction française: Flo Ricard

Dans l’étude des kobudo et kobujutsu (les arts et voies japonais classiques), une des questions les plus intéressantes est la transmission et la succession des différentes traditions martiales par le soke ou iemoto (maître ou successeur d’un ryu).

Les voies martiales modernes, les formes “do”, ne suivent pas en général la même méthode de transmission technique ou culturelle et il est facile, pour les non-japonais, de mal comprendre la façon dont les traditions classiques se passent de génération en génération.

Même les japonais contemporains sont déconcertés, ceci en dépit de leur croyance, souvent proférée, en une connaissance commune ou sens pratique universel a tout japonais (joshiki).

Il est nécessaire de commencer par comprendre la méthode de succession a la tête d’une école des koryu d’autrefois.

Les méthodes les plus répandues étaient isshi soden (la transmission complète des techniques et principes d’un ryu a un héritier désigné par les liens du sang) et yuiju ichinin (l’enseignement des secrets du ryu a un héritier choisi qui n’était pas membre de la famille).

Le fait de passer une école de cette manière, en limitant l’accès aux techniques et principes de haut niveau à son successeur et à quelques élèves bien choisis, a servi a maintenir à la fois le prestige du ryu et a protéger l’autorité du maître.

Dans la plupart des cas, le nombre de personnes qui pouvait recevoir l’enseignement de ces techniques était strictement limité (le plus souvent une seule, rarement plus qu’une demi-douzaine).

Afin de prouver qu’un individu était un successeur légitime, il pouvait recevoir un certificat attestant de son accession, densho (des rouleaux de parchemin contenant les techniques, principes et sujets ésotériques les plus importants) et, dans certains cas, un sabre, une lance ou une autre arme porteuse de signification pour le ryu.

Même si quelqu’un était porteur du menkyo kaiden (le plus haut niveau de certification technique) ou de son équivalent, sans ces emblèmes ou symboles, il ne serait pas reconnu comme successeur légitime.

Ceci est du en partie au fait que, au fil des ans, beaucoup d’hommes reçurent un menkyo et il devint nécessaire de pouvoir distinguer entre les élèves qualifiés, les professeurs certifiés et les maîtres légitimes de la tradition.

La situation fut d’avantage compliquée par la pratique occasionnelle de séparer la position de maître et de professeur dans le cas ou le maitre désigné ne pouvait pratiquer son art. Cela était devenu nécessaire pour certaines des plus anciennes traditions martiales du Japon.

En pricipe, les densho étaient transmis directement du maître a ses élèves. Il était de coutume d’énumérer la lignée de professeurs afin de pouvoir voir immédiatement si quelqu’un avait étudié la branche principale d’une tradition ou une branche collatérale (baikei).

De plus, afin d’authentifier un certificat, on y apposait le sceau personnel du professeur et/ou du maître. Dans certains cas il devait y avoir un ou plusieurs sceaux uniques au ryu également apposés pour pouvoir considérer le certificat comme authentique.

Un exemple est le certificat que Morihei Ueshiba aurait reçu en 1908 dans l’art du Yagyu Shingan-ryu jujutsu de Masakatsu Nakai.

Je n’ai pas examiné le rouleau personnellement, mais le maître de la branche de Yagyu Shingan-ryu qu’a pratiqué Ueshiba a pu l’inspecter, et m’a informé qu’il manque un sceau au certificat authentifiant, qui devrait se trouver sur le nom de professeur.

Il est difficile de déterminer ce que signifie l’absence de ce sceau sur ce densho particulier, comme il est improbable qu’il ai été falsifié, mais la question se pose néanmoins aux érudits et aux pratiquants de kobudo qui essayent de déterminer les antécédents techniques de Ueshiba.

L’autorité du maître repose sur son habileté a pouvoir transmettre correctement les techniques et principes particuliers à son école. Dans certains cas, un ou plusieurs ryu peuvent devenir affiliés ou intégrés à l’école “principale” par des circonstances historiques. Par exemple, le Shinto Muso-ryu est une des plus anciennes traditions de jojustu (combat au bâton). Beaucoup de ses représentants (surtout ceux qui étudient la version modifiée de cet art appelé jodo) étudient uniquement l’art du bâton.

Ceux intéressés par l’enseignement entier de la tradition peuvent toutefois étudier un nombre d’arts affiliés: le Uchida-ryu tantojutsu (le bâton court), le Shinto-ryu kenjutsu (le sabre), le Isshin-ryu kusarigamajutsu (la faucille), le Ikkaku-ryu juttejutsu (la matraque) et le Ittatsu-ryu hojojutsu (l’art de ligoter).

Les élèves du Yagyu Shinkage-ryu, une école de sabre et de stratégie renommée, ont la possibilité d’étudier le Yagyu Seigo-ryu battojutsu (l’art de dégainer le sabre) et la série de techniques au bâton, le « Jubei-no-jo. » Le Muhi Muteki-ryu, une autre école de jojutsu, inclut la pratique du Iga-ryuha Katsushin-ryu jujutsu dans son programme. La délivrance d’un certificat séparé dans ces systèmes ancillaires dépend de l’école principale.

Etant donné l’autorité absolue du maître dans son ryu, il était impératif que l’individu choisi possède le plus haut niveau de maîtrise technique et d’intégrité de caractère. En théorie, la sélection d’un successeur d’un ryu a toujours été limitée à ce type d’individu. Toutefois, les circonstances au sein d’un ryu pouvaient changer avec le temps, et il n’était pas toujours possible de choisir quelqu’un qui correspondait a ces idéaux d’habileté et de connaissance.

Parfois les fils du iemoto ne pouvaient pratiquer a cause de limitations physiques, de maladies, de blessures ou même de décès sur le champ de bataille. Dans d’autres cas, il n’y avait pas de descendance masculine.

Une telle situation était parfois contrée par l’adoption d’un élève brillant comme héritier (c’était le cas de Kiyoshu Nakakura, qui fut nommé héritier de Morihei Ueshiba suite a son mariage avec Matsuko, la fille de ce dernier; Nakakura fut donné le nom de Morihiro et adopté par la famille Ueshiba jusqu’a son divorce quelques années plus tard).

Une autre solution était que les élèves et disciples travaillent ensemble avec le maître à préserver la vitalité technique et le statut social du ryu.

Même si une de ces personnes dépassait le maître en habileté, le soke était toujours considéré comme la figure légitime ultime et son autorité n’était jamais transgressée. Cette façon de procéder fut suivie diligemment jusqu’a la fin du shogunat Tokugawa.

L’ère Meiji fut une époque d’occidentalisation rapide, où beaucoup d’arts traditionnels japonais furent abandonnés en faveur de coutumes plus modernes.

Les dan-i (grades techniques) et shogo (titres d’enseignement) pouvaient être obtenus plus rapidement que les certificats délivrés par le soke d’une tradition classique et furent éventuellement tenus en plus haute estime.

Le développement des organisations nationales de gendai budo (voies martiales modernes) a contribué a l’affaiblissement de la popularité et de la reconnaissance générale de arts martiaux classiques.

En fait, c’est seulement grâce aux efforts de quelques personnes déterminés et d’organisations telles que le Nihon Kobudo Shinkokai et le Nihon Kobudo Kyokai que les kobudo ryu purent se préserver face aux pressions économiques et sociales de l’ère moderne.

Il est important pour ceux d’entre nous qui étudient les voies modernes de regarder de plus près les traditions classiques, afin que les leçons qu’elles nous ont données ne soient pas perdues.

Copyright ©1996 Meik Skoss. All rights reserved.

Meik Skoss commença la pratique de arts martiaux en 1966 a Los Angeles, quand il entra au dojo d’aïkido de Takahashi Isao. Il émigra au Japon en 1973 afin de continuer sa pratique de l’aïkido et du Muso Jikiden Eishin-ryu iaido avec Hikitsuchi Michio. En 1976, Skoss commença l’étude du Shinto Muso-ryu jojutsu avec Shimizu Takaji, du Toda-ha Buko-ryu naginatajutsu avec Muto Mitsu, et du Tendo-ryu naginatajutsu avec Sawada Hanae, en plus de sa pratique l’aïkido au Aikikai Hombu Dojo. C’etait également a cette époque qu’il commença à travailler avec Donn F. Draeger et accompagna le maitre hoplologiste au cours de nombreux voyages d’études en Asie de Sud-Est. En 1976, il débuta le Yagyu Shinkage-ryu heiho/kenjutsu et le Yagyu Seigo-ryu battojutsu sous le 21ème maitre de la lignee, Yagyu Nobuharu Toshimichi. Il a également pratiqué le judo, le tai-chi ch’uan, le Goju-ryu karatedo et, en plus des koryu cités plus haut, s’entraîne aujourd’hui au judo, atarashii naginata et jukendo. Skoss possède les grades de 4ème dan d’aikido (Aikikai), 5ème dan de Zen Hihon Kendo Renmei jodo, 5ème dan de jukendo, 3ème dan de tankendo, 2ème dan de atarashii naginata, possède un okuden mokuroku et des licences de shihan en Toda-ha Buko-ryu naginatajutsu, et un sho-mokuroku en Shinto Muso-ryu jojutsu. Il fait partie des hoplologistes poursuivant le travail de Donn F. Draeger, et a voyagé autour du Japon afin de visiter des koryu et des dojo de budo modernes tout en collectant des informations sur les arts martiaux japonais. Habitant actuellement le New Jersey, il enseigne, avec sa femme, le jojutsu, le kenjutsu et le naginatajutsu a Madison. Il peut être contacté a cette adresse: mskoss@koryubooks.com

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