Gojo, les cinq vertus de Confucius
L’influence du Shintoïsme ou du Bouddhisme dans les arts martiaux japonais est parfaitement connue. Par contre, celle du Confucianisme est souvent mésestimée. Toshiro Suga nous révèle aujourd’hui l’importance majeure de cette pensée dans l’histoire japonaise et plus particulièrement dans la caste des samouraïs…
Lorsque la rédaction de Seseragi m’a demandé d’expliquer quelques termes utilisés en Aïkido à travers l’analyse de leur kanji je l’ai fait avec plaisir en précisant que mes écrits devaient être considérés comme des pistes et non des vérités absolues. Certains lecteurs ayant été intéressés par ces tentatives d’explications la rédaction m’a demandé de continuer cette rubrique.
Je m’attelle à présent à des aspects spirituels et historiques que j’estime liés à notre pratique. Mais je tiens
encore une fois à préciser qu’il ne s’agit que de mon interprétation. J’ai consacré ma vie à l’Aïkido et je suis
un pratiquant et non pas un historien ou un philosophe. L’analyse des sujets que je vais aborder sera donc limitée par mes connaissances. Je vous prie donc d’avance de m’excuser pour toute erreur éventuelle et vous conseille d’approfondir vos recherches dans des ouvrages spécialisés si une notion évoquée vous intéresse.
Le Japon a connu de nombreuses luttes de pouvoirs entre seigneurs. La plus grande période de guerre civile
prit fin en 1615. Dès lors le Japon connut pendant plus de 250 ans la plus longue ère de paix de l’histoire de l’humanité.
Mais comment les Tokugawa ont-ils réussi à préserver la paix après cinq siècles de guerre civile ?
Une époque à l’éthique fluctuante
Le Japon a été unifié grâce au combat de trois hommes, Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi puis Tokugawa Ieyasu. Ieyasu avait comme tout conquérant le désir de voir se perpétuer sa lignée. Il pouvait pour cela faire appel à la force et l’intimidation et il ne s’en est effectivement pas privé, gardant par exemple les familles des seigneurs dans une situation de quasi-otages. Mais tout déploiement de force amène le ressentiment et porte en lui-même les racines de sa destruction. C’est pourquoi Ieyasu agit subtilement en s’attaquant à la racine du problème, l’éthique des samouraïs.
Au Japon l’importance du nom est plus encore qu’ailleurs portée à son paroxysme et un clan ne trouve de
signification que dans sa survie. Cinq siècles de guerres acharnées avaient développé un instinct de survie extrêmement puissant et l’on peut dire que la pérennité du clan finit par tout justifier dans cette époque troublée. Les trahisons se succédaient et personne n’y voyait rien à redire dans la mesure où le clan en sortait grandi ou au moins préservé.
Une école de la loyauté
Le confucianisme était arrivé dans l’archipel entre le 3e et le 6e siècle. Cette école de pensée qui devint quasiment une religion en Chine garda son essence au Japon où elle servait principalement à développer l’esprit moral et enseigner la conduite juste qu’un homme devait adopter. Le génie de Tokugawa fut d’élever le Confucianisme en doctrine d’état, soumettant le gouvernement et la société à ses préceptes. Le plus important à ses yeux étant probablement l’interdiction de servir deux maîtres dans une vie…
En quelques années le Confucianisme prit une importance grandissante. Tout samouraï s’adonnait à son étude et ses enseignements se propagèrent très rapidement dans la société. Les valeurs confucianistes furent reprises dans la conduite du gouvernement, mais aussi dans les domaines de l’art et des arts martiaux.
Le confucianisme restera une doctrine d’état durant toute l’ère Edo et sera un des fondements de la stabilité
du shogunat des Tokugawa. Il imprégna définitivement l’âme japonaise au plus profond d’elle-même.
Gojo: Jin, Ghi, Rei, Chi, Shin
L’enseignement de Confucius repose sur les gojo, les cinq vertus que doit posséder et cultiver l’homme véritable.
Jin : la bonté, l’amour, la fraternité
L’idéogramme de jin est composée de deux parties. La partie de gauche symbolise un homme debout, celle de droite signifie deux. Ce kanji symbolise l’absence de conflit et
l’harmonie parfaite.
Ghi : la droiture, la justice
Cet idéogramme est aussi divisé en deux parties. La partie haute symbolise un mouton. Celle du bas une arme de guerre, et par extension
« moi », son porteur. Dans l’antiquité le mouton était le sacrifice le plus prestigieux que l’on pouvait offrir. Ce kanji symbolise la possession et par extension la justice.
Rei : la bienséance, la politesse
Cet idéogramme est composé de trois parties. La partie de gauche représente un autel. Elle porte la signification de « présentation ». La
partie supérieure de droite représente une décoration. La partie inférieure représente une fève de soja. La signification d’origine de ce kanji est celle de l’abondance d’esprit.
Finalement elle en vint à représenter la bienséance. Il faut toutefois comprendre l’importance de la bienséance à une époque où les rites tels que les mariages ou les enterrements occupaient une place majeure dans la vie d’un homme. Le respect et la compréhension des règles de politesse et d’étiquette permettaient à l’homme de vivre sereinement et d’occuper son rang avec honneur et dignité.
Chi : la sagesse
Cet idéogramme est aussi composé de trois parties. La partie en haut à gauche symbolise une flèche. Celle du haut à droite représente une
bouche. Enfin, la partie basse représente ici le verbe, la parole. C’est un des idéogrammes les plus difficiles car malgré sa simplicité d’écriture il est utilisé sous de nombreuses significations. Ce kanji symbolise une parole juste qui touche à sa cible, autrement dit la sagesse.
Shin : la loyauté, la sincérité
Cet idéogramme est à nouveau composé de deux parties. La partie de
gauche est la même que celle de jin, il s’agit d’un homme debout. Celle de
droite représente un homme qui parle. Le kanji symbolise la fidélité à sa parole, autrement dit la loyauté.
Des gojo, les cinq vertus, le jin, la bonté, est l’essentielle. Sans elle aucune des autres vertus ne peut exister. C’est grâce au jin que la justice peut faire preuve de compassion. C’est aussi grâce au jin que l’on fait preuve de modestie et de politesse. C’est encore grâce au jin que le discernement est éclairé. C’est enfin grâce au jin que l’on ne trahit ni les autres ni sa parole.
Les cinq vertus et la pratique martiale
Le confucianisme est devenu doctrine d’état durant l’ère Edo pendant laquelle sont nées la majorité
des ryu, les écoles traditionnelles. Les cinq vertus sont devenues un pilier de la société japonaise en général et
du Bushido en particulier, influençant l’âme du samouraï au plus profond d’elle-même. Ueshiba Moriheï dont la vie fut un exemple démontra d’ailleurs tout au long de son existence la possession et la “cultivation” des cinq vertus. L’Aïkido dont la parenté avec le Shinto est la plus connue est aussi fondamentalement porteur des gojo et surtout de sa vertu essentielle, jin, la compassion.
Toshiro Suga